ACPJ | La police doit-elle faire peur ?
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La police doit-elle faire peur ?

La police doit-elle faire peur ?

Paru il y a quelques mois chez Albin Michel, La peur a changé de camp, de Frédéric Ploquin, est sous-titré « Les confessions incroyables des flics ». Tout un programme !

Fin connaisseur des arcanes de l’administration police, qu’il fréquente depuis plusieurs décennies, l’auteur y décrit, suite au recueil de témoignages de policiers de terrain, le quotidien des flics ou, du moins, la représentation que les intéressés s’en font. Et c’est peut-être là que survient la limite de l’ouvrage. L’accumulation de situations très diverses – sans doute toutes réellement vécues mais exposées sans filtre – ne fait pas pour autant une vérité. Le recueil empirique de témoignages off, bruts et sans recul ni analyse ou presque, ne suffit sans doute pas à décrire la complexité des difficultés auxquelles la profession policière est confrontée. Le manque de recul et d’analyse ne rend pas l’ouvrage totalement inintéressant pour autant, grâce aux témoignages et aux réflexions qu’il porte notamment. Mais  l’absence de mise en perspective constitue pour autant un biais dont le lecteur devra se méfier. Il est indispensable de garder à l’esprit que le travail de journaliste est différent de celui du chercheur.

Comme beaucoup des témoignages qu’il a recueillis semblent l’y conduire, l’auteur décrit un passé glorieux, un temps où « l’uniforme en imposait », un paradis perdu dont on peut se demander s’il a vraiment existé ou s’il n’est qu’un fantasme pour des policiers en légitime souffrance. Hier, était-ce vraiment mieux ? Et hier, au fait, c’était quand ? Quels sont les éléments de comparaison ?

Aucune réponse, hélas, autre que celles formulées sur le registre du ressentiment ou de la croyance. « On risque notre vie tous les jours », « on a tendance à ne plus sortir de la voiture qu’en cas d’urgence », « pendant vingt ans on a formé les policiers à être au contact de la population, à faire de la pédagogie, à ne pas sortir son arme, le simple fait de mettre la main dessus était un problème », « envoyer les policiers au contact de la population […] sauf que la vague terroriste est passée par là et que les structures criminelles se sont durcies dans les quartiers »… Autant d’assertions qui mériteraient, pour le moins, d’être posées et discutées sereinement. Plus facile à dire qu’à faire, nous dira-t-on. Et ce n’est pas l’objet de cet ouvrage, on l’aura compris.

Au sein d’une police où tout agent qui a moins de quinze ans d’ancienneté (ils sont nombreux) n’a connu que la politique de réaction ultra-sécuritaire et son corollaire de mise en statistiques de l’activité quotidienne, les autres types d’organisation policière sont vécus et présentés comme le monde des Bisounours. La police de proximité, qui a pourtant produit des résultats intéressants, même si elle n’a pas eu beaucoup le temps de faire la démonstration de son utilité, y est souvent présentée, dans les témoignages, comme une incongruité, coûteuse en effectifs et en moyens, privant les policiers d’une prétendue et indispensable virilité.

Pour autant, le discernement y est présenté comme « le moment où le flic se sent flic et où il sort de l’infantilisation », et le sentiment d’inutilité est souvent évoqué. Le rôle du policier dans la société est également interrogé, par quelques trop rares témoignages manquant, là aussi, d’analyse.

Quelques réalités sont exposées au regard du lecteur. Celles de policiers contraints d’acheter du matériel sur leurs deniers personnels, de policiers confrontés à la violence, à la mort, sans beaucoup d’occasions de participer à des débriefings ou des défusings psychologiques. Celles de visites ministérielles dans des services de police où tout fonctionne. Le hasard n’existant pas, les locaux ont été récurés, des véhicules et du matériels neufs ont été livrés, des plantes ont été apportées et quitteront les lieux avant que le cortège ministériel n’ait franchi le premier carrefour. Celles, enfin, d’un management déshumanisant, qui met une grande partie de la chaîne hiérarchique en grande souffrance.

Certains marronniers de la revendications policière, régulièrement repris à leur compte par certains syndicats, sont également exposés : « les chefs sont dans leur bulle, les juges dans leur monde, les politiques naviguent à court terme, eux, femmes et hommes de terrain, savent », « on représente la loi et si on était plus suivis on serait plus forts », la difficulté d’administrer la preuve de la légitime défense… Autant de sujets qui mériteraient, là aussi, une mise en perspective.

On peut également noter, à la lecture de l’ouvrage, l’évocation de comportements ou de pratiques non déontologiques assumés voire revendiqués par certains de leurs auteurs. Là aussi, hélas, peu de questionnements. Le simple fait de devoir rendre compte, ce qui ne semble pourtant pas totalement infondé pour une profession qui dispose du « monopole de la violence légitime », semble à certains fonctionnaires totalement incongru. On peut également lire ce témoignage d’un commissaire selon lequel « les policiers ne sont pas racistes mais sont embêtés par une certaine population issue de l’Afrique noire et qui se sent soutenue par les politiques ». Un tel propos mériterait pour le moins débat.

Enfin, que dire du choix de l’auteur d’interroger Xavier Raufer ? Présenté comme criminologue – une profession qui n’est pas reconnue en France – et comme « bon connaisseur des forces de sécurité en général et de la police en particulier », l’intéressé fait l’objet de virulentes critiques de la communauté universitaire. Autant dire qu’il s’agit là d’un témoignage qui ne participe pas vraiment à crédibiliser le travail d’analyse que mériteraient les nombreux témoignages recueillis par l’auteur.

Si la lecture de cet ouvrage peut avoir un certain intérêt pour celles et ceux qui souhaiteraient en savoir un peu plus sur une certaine vision du quotidien des policiers et sur la façon dont ces derniers voient leur profession, il doit être pris avec de nombreuses réserves, au regard du peu de recul qu’il prend sur les témoignages recueillis. On ne peut pas en vouloir à des policiers en souffrance, désabusés par leur quotidien et par le manque d’une vision d’avenir de leur profession, d’exprimer leur ressentiment. Pour autant, le recueil empirique de ces témoignages ne peut suffire à éclairer le lecteur ni à soigner les maux qui sont décrits. Il n’est pas toujours simple, pour les principaux intéressés, de conserver une distanciation, pourtant indispensable à l’analyse et à la construction d’un nouveau paradigme sécuritaire. Ce recul aurait pu être le parti pris de l’auteur. Ce n’est pas le cas et on peut le regretter.



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