ACPJ | « L’intérêt général n’étant pas la somme des intérêts particuliers, les syndicats de police dansent d’un pied sur l’autre : un équilibre impossible à trouver »
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« L’intérêt général n’étant pas la somme des intérêts particuliers, les syndicats de police dansent d’un pied sur l’autre : un équilibre impossible à trouver »

« L’intérêt général n’étant pas la somme des intérêts particuliers, les syndicats de police dansent d’un pied sur l’autre : un équilibre impossible à trouver »

Deux citoyennes ont posé leurs questions mi-naïves, mi-piquantes à un policier et militant syndical, tous trois membres du bureau de l’ACPJ.

 

Depuis quand les syndicats de policiers existent-ils, et quels sont-ils ? Combien de fonctionnaires adhèrent à un syndicat ?

Les syndicats de police sont aussi anciens que la police contemporaine, ou presque. Mais l’évolution de ces vingt dernières années rend toute lisibilité assez complexe. Le plus ancien syndicat de police est le Syndicat général de la police (SGP), né en 1924. Il s’agissait alors d’un syndicat de police parisien, donc d’une police d’essence parisienne et municipale. L’histoire des syndicats prend véritablement force et vigueur après la Deuxième Guerre mondiale. Le régime de Vichy a alors parachevé la nationalisation progressive de la police, débutée au début du xxe siècle. Le Syndicat national indépendant (le SNIP des CRS) et le Syndicat national des policiers en tenue (SNPT) sont les deux grandes formations historiques, avec le SGP. En 1969, ils créent, avec d’autres composantes plus modestes, la Fédération autonome des syndicats de police (FASP). Cette fédération est hégémonique jusque dans le milieu des années 1990, époque à laquelle elle implose, débouchant sur le départ du SGP pour la confédération Force ouvrière. Le SNIP et le SNPT rejoindront quant à eux l’UNSA et fonderont l’UNSA Police. En 2008, ce syndicat fusionné quitte l’UNSA et devient Unité Police : c’est cette dernière structure qui fusionne en 2012 avec le SGP pour fonder le syndicat Unité SGP Police FO tel qu’il existe actuellement, membre de la confédération CGT-FO. L’UNSA crée à l’époque une nouvelle structure de syndicalisme policier qui s’appelle l’UNSA Police. Parallèlement, d’autres syndicats minoritaires vont progressivement se rapprocher. Il s’agit du Syndicat indépendant de la police nationale (SIPN), du Syndicat des gradés de la police nationale (SGPN) et du Syndicat national des enquêteurs (SNE), qui sont aujourd’hui fusionnés dans la structure nommée Alliance Police nationale, membre de la CFE-CGC. Enfin, il y a quelques années seulement, une scission d’Alliance occasionne la création d’un syndicat membre de la CFDT, Alternative Police nationale.

Il s’agit là de l’histoire des syndicats de gradés et gardiens, pour lesquels Unité SGP Police FO est aujourd’hui majoritaire depuis les dernières élections professionnelles, en décembre 2018. Dans le même temps, des syndicats se développent également chez les officiers et les commissaires, donnant lieu à la création du Syndicat national des officiers de police (SNOP), devenu aujourd’hui le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI), membre de la CFDT, et de Synergie-Officiers, membre de la CFE-CGC. Pour les commissaires, deux syndicats principaux existent : le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) et le Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP).

L’affiliation à une centrale syndicale (CGT, CGT-FO, UNSA, CFDT, CFE-CGC…) est vivement souhaitable, pour des questions de représentativité et d’obtention de ce que l’on appelle des moyens syndicaux. Les organisations syndicales ont en effet besoin de jours de détachement, pour permettre aux délégués de faire leur travail, et de subventions, pour pouvoir fonctionner. En outre, la représentativité syndicale et l’appartenance à une centrale syndicale garantissent des moyens en cas de mobilisation et pour la formation des délégués.

Difficile de donner des chiffres en termes de nombre d’adhérents… Si on additionnait ceux donnés par les syndicats en question, on trouverait sans doute davantage d’adhérents que de policiers en exercice ! Quoi qu’il en soit, la profession policière est très syndiquée, car les syndicats y ont la réputation de faire et de défaire la carrière des policiers. On peut donc s’interroger sur le fait de savoir si ce taux important de syndicalisation est finalement justifié pour de bonnes raisons. Le changement de système en matière d’avancement et de mutation des fonctionnaires ayant changé ces deux dernières années, l’évolution de la situation est à surveiller dans ce domaine.

Ce qui est certain, c’est que le syndicalisme policier est aujourd’hui morcelé, ce qui permet à l’administration d’en jouer. Les appels à l’unité syndicale existent autour d’intérêts ponctuels, mais ils cachent mal certaines divisions. Celles-ci poussent hélas au populisme syndical, qui consiste pour les organisations à dire aux policiers ce qu’ils ont envie d’entendre et pas forcément ce qu’il faudrait affirmer avec un certain courage. Le caractère ultra majoritaire de la FASP avait cela d’intéressant : il permettait des prises de position courageuses et productives à long terme, même si elles pouvaient être incomprises sur le moment.

 

Pourquoi y a-t-il des syndicats différents pour chacun des trois corps de la police : gardiens de la paix, officiers, commissaires ? Un syndicat ne devrait-il pas défendre ses adhérents quels que soient leur grade et leur fonction ?

Difficiles mais importantes questions ! Il y a en effet autant de syndicats que de corps, car les intérêts de ces corps peuvent grandement diverger. En matière de revendication salariale par exemple, il est évidemment plus simple de revendiquer pour des officiers ou des commissaires, qui sont peu nombreux, que pour des gradés et gardiens, qui le sont beaucoup plus. Ainsi, il revient moins cher à un ministre de l’Intérieur de donner 100 euros à chaque commissaire que d’en donner 10 à chaque gradé et gardien.

L’aspect catégoriel n’a pour autant pas toujours eu le même caractère conflictuel. La FASP, par exemple, comprenait des syndicats de tous les corps de la police nationale. Cela pouvait être complexe au quotidien, mais cela permettait également des échanges riches, desquels pouvaient sortir des réformes de fond faisant consensus au sein de tous les corps.

Aujourd’hui, certaines centrales syndicales comme la CFDT, l’UNSA ou la CFE-CGC peuvent s’enorgueillir d’avoir des syndicats de tous les corps, mais l’entente est loin d’y être cordiale en coulisse. D’autres ont fait le choix de n’intégrer que des gradés et gardiens, afin de se replier sur un seul corps, ce qui permet d’être plus libre de dénoncer les agissements de certains hiérarques. C’est notamment le choix fait par Unité SGP Police FO, qui le revendique haut et fort, ce qui peut sous certains aspects se comprendre, mais également se discuter : mieux vaut quelquefois se disputer dans une fédération que de ne pas se parler du tout.

 

Est-ce faux de dire qu’un policier adhère au syndicat le mieux placé pour pouvoir faciliter son avancement, sa mutation ? Quel rôle les syndicats jouent-ils dans les déroulements des carrières ?

C’est effectivement un problème qui est souvent soulevé. Comme évoqué plus haut, les policiers sont très syndiqués, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Tout dépend du postulat de départ. Si les syndicats ont avant tout pour rôle de défendre le collectif, une profession, un sens du service public…, ils ne devraient pas sacrifier cette défense à des intérêts particuliers comme l’avancement ou la mutation d’un collègue.

Ainsi, un syndicat de police qui viendrait à contester un chef de service, un préfet ou un ministre ne pourrait que difficilement ensuite solliciter la même personne pour examiner favorablement la situation particulière d’un policier qui attend sa mutation ou un avancement. Cela étant dit, les syndicats de police répondent également à une demande quasi schizophrénique des policiers. Ces derniers attendent que les syndicats revendiquent pour le collectif (les conditions de travail, le niveau de rémunération, les questions d’hygiène et de sécurité…), mais ils souhaitent également que les mêmes syndicats puissent négocier leurs intérêts particuliers. Combien de policiers aimeraient bien obtenir une mutation en passant devant leurs petits camarades pourtant mieux placés pour cela ? L’intérêt général n’étant pas fait de la somme des intérêts particuliers, les syndicats dansent d’un pied sur l’autre, dans un équilibre impossible à trouver.

Les syndicats de police ont longtemps fait la pluie et le beau temps en matière de mutation ou d’avancement. C’est désormais de moins en moins le cas, même s’ils jouent encore un rôle important. Du temps de la FASP, la situation était proprement sidérante par certains aspects, au point que certains jeunes collègues ont du mal à croire le récit des anciens qui ont connu ces pratiques d’un autre temps. Sans doute était-ce beaucoup trop. Et lorsque le balancier va trop loin dans un sens, il a le plus souvent tendance à revenir très fort dans l’autre.

 

On a le sentiment, à suivre leurs interventions dans les médias et sur les réseaux sociaux, que les syndicats tentent plus de peser dans le débat politique que de défendre les fonctionnaires. Quelles actions de terrain mènent-ils en faveur de leurs collègues, loin des caméras et des micros ?

C’est ici un sujet effectivement sensible. Certains observateurs se sont souvent demandé pourquoi des syndicats de police intervenaient pour commenter l’actualité policière voire judiciaire, alors même que l’institution n’est pas mise en cause. Ils ont raison ! Lorsqu’une affaire importante se déroule, il devrait relever à la hiérarchie policière ou judiciaire de s’exprimer.

La présence médiatique des syndicats de police a deux sources principales. La première, c’est l’incapacité de l’institution à communiquer efficacement et rapidement sur un sujet important. Les choses ont évolué, mais c’est encore balbutiant. Les gendarmes ont à ce sujet beaucoup de leçons à donner à la police nationale. La deuxième, c’est tout simplement un effet de loupe. Les policiers, comme tout le monde, regardent les informations, et ils voient leurs délégués s’exprimer. Demandez-leur ce qu’a dit le délégué en question et le plus souvent ils ne sauront pas répondre, se contentant de porter un jugement de valeur très général. Mais lorsque c’est un autre syndicat que le leur qui intervient, ils se demandent ce que font leurs propres délégués. Un responsable syndical préfère donc quelquefois intervenir médiatiquement plutôt que de laisser un concurrent le faire, même si le sujet ne met pas en cause la police ou des policiers, et même s’il n’y a aucun caractère revendicatif à mettre en avant. Là aussi, certaines organisations répondent plus facilement que d’autres, lesquelles maintiennent une certaine déontologie dans ce domaine.

 

Les délégués syndicaux ont-ils le droit de tout dire ? Peuvent-ils être sanctionnés, ou leur mandat constitue-t-il une sorte d’« immunité » ?

Les délégués syndicaux peuvent, à la différence des policiers soumis au devoir de réserve, s’exprimer dans les médias et exposer des revendications syndicales. Ils ne peuvent néanmoins pas tout dire. Il leur est par exemple interdit de dévoiler des informations issues des procédures en cours. On peut quelquefois se demander si les limites ne sont pas franchies en écoutant certains militants s’exprimer sur des interventions de police desquelles peuvent découler des enquêtes… Le contentieux disciplinaire est néanmoins peu important dans ce domaine, du moins à ma connaissance.



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