ACPJ | Beauvau de la sécurité : la contribution de l’ACPJ
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Beauvau de la sécurité : la contribution de l’ACPJ

Beauvau de la sécurité : la contribution de l’ACPJ

L’ACPJ accueille la tenue de ce Beauvau de la sécurité initié par le président de la République avec, tout d’abord, de la satisfaction et de la motivation.

Satisfaction, parce qu’il nous semble fondamental qu’un état des lieux précis puisse être réalisé et aboutir aux réformes, tant de doctrines que de structures, indispensables à la police nationale, dans l’objectif de redonner du sens au travail policier et ainsi de rendre un meilleur service public aux citoyens.

Motivation, parce que nous avons nous-mêmes appelé ce Beauvau de nos vœux et que nous comptons faire partager la vision qui est la nôtre. Nous apporterons notre pierre à cet édifice qui, s’il fait l’objet d’une co-construction suffisamment large et pluraliste, pourrait constituer un socle pour l’avenir.

Pour autant, nous restons lucides. Il reste moins de dix-huit mois avant la nouvelle élection présidentielle, sachant que la campagne commencera dès la rentrée de septembre 2021. C’est donc un temps très court qu’il restera pour commencer à mettre en œuvre les conclusions de la réflexion collective qui nous est proposée.

Cela étant dit, si ce processus peut déjà être mis à profit pour faire émerger un constat partagé et dégager des consensus suffisamment larges pour que les futurs dirigeants puissent s’en inspirer dans la durée, nous aurons déjà fait un pas.

 

Quatre chantiers primordiaux doivent être engagés dans les meilleurs délais :

– la création d’une filière de policiers de proximité ;

– une formation repensée dans son contenu et sa durée ;

– une amélioration de la qualité de vie au travail pour les policiers ;

– un organe de contrôle légitimé, qui restaure la confiance en la police.

 

Le premier chantier consiste à établir les bases de la police que souhaitent les citoyens au quotidien.

Le policier est un citoyen comme les autres qui exerce un métier très particulier par lequel la population lui prête un pouvoir d’autorité. Aussi, l’ACPJ milite pour que les policiers retrouvent une mission pleine et entière de proximité avec les citoyens. Aujourd’hui, ils sont identifiés comme membres des « forces de l’ordre » ; ils doivent impérativement redevenir aussi des « gardiens de la paix ». La relation avec les citoyens doit être placée au cœur de l’organisation de la police, comme le volet préventif de son action, corollaire de son action répressive. Ces deux aspects sont complémentaires et doivent nécessairement s’équilibrer.

Aussi, nous proposons la création d’une réelle filière de « paix publique et police de proximité », à l’instar de ces filières qu’envisage le Livre blanc de la sécurité intérieure pour l’ordre public, l’investigation ou le renseignement. De cette filière devra découler une formation spécifique des gardiens de la paix qui la rejoignent : une partie enseignée en tronc commun et une autre en module d’adaptation au premier emploi (MAPE).

Déployés sur le terrain, ces policiers auront à cœur d’exercer leur mission principale : aller à la rencontre de toutes et tous, qu’il s’agisse des citoyens, des acteurs associatifs, des commerçants, des collectivités territoriales (polices municipales, acteurs sociaux, élus), des établissements scolaires, en étant les initiateurs de la rencontre. Ces policiers n’auront pas la tâche prioritaire d’interpeller, mais bel et bien d’appréhender l’environnement sous toutes ses formes, de réguler les conflits et d’être un relais avec les autres services, qu’ils soient de conciliation, de renseignement ou d’investigation.

L’évolution qui consiste à laisser l’aspect répressif à la police et à la gendarmerie nationales, pour confier la proximité et la prévention aux polices municipales n’est pas souhaitable. Police et gendarmerie nationales doivent pouvoir marcher en équilibre sur les deux principes. Rappelons que la mission de sécurité est une mission régalienne et que c’est donc à l’État d’assumer sa charge de travail en la matière. C’est une meilleure garantie d’égalité devant le service public de sécurité pour nos concitoyens.

 

Le deuxième enjeu majeur concerne la formation des policiers. Elle n’est aujourd’hui plus adaptée. Elle doit être revue dans son contenu et sa durée.

Aujourd’hui, les gardiens de la paix qui entrent en école de police ont des niveaux très différents. Entre certains profils qui n’ont que peu ou pas de diplôme, mais qui peuvent disposer d’une solide expérience de terrain, et ceux qui ont le bac, voire un solide bagage universitaire, il peut exister des disparités importantes en termes de connaissances. Cette différence peut néanmoins constituer une richesse, les uns pouvant se nourrir du parcours des autres. Il pourrait être proposé d’ajouter des modules de formation permettant de tirer l’ensemble d’une promotion vers le haut et de garantir la maîtrise des fondamentaux par chacun, tout en restant dans le domaine des connaissances indispensables à la présence du policier dans la cité.

La police nationale telle que nous la connaissons s’est construite progressivement dans une longue période historique, d’abord par une nationalisation progressive depuis le début du xxe siècle, par la spécialisation de certaines de ses unités par le régime de Vichy en 1941, puis par sa création formelle en 1966. Il apparaîtrait formateur de travailler cette histoire de la police, en même temps que toute l’histoire de France, de la fin du xixe siècle à nos jours, en passant par la colonisation, la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie, la guerre froide, les aménagements urbains des années 1970 et 1980.

Au-delà de l’histoire, il apparaît important de compléter ces connaissances par une approche sociologique puis une dimension psychologique. La formation initiale, au-delà d’apprendre à rédiger des procès-verbaux, à verbaliser, à interpeller, doit être au surplus également axée sur le contact avec les citoyens et sur la gestion des conflits, y compris la désescalade ; avec des rappels forts concernant les comportements à adopter hors intervention, qu’il s’agisse d’œuvre de pédagogie, des valeurs de l’exemple, de l’écoute.

Le contrôle d’identité doit également faire partie des réflexions. Pas nécessairement en termes de contenu législatif, mais surtout dans la manière de l’aborder et dans son utilité réelle. Cela permettrait d’intégrer, au-delà de l’aspect déontologique, des notions d’éthique : « Ce n’est pas parce que c’est autorisé par la loi que c’est la meilleure chose à faire. »

Enfin, il nous paraît essentiel de compléter la formation initiale relative au fonctionnement de la justice. Le fonctionnement des juridictions et le droit de l’application des peines doivent être enseignés aux policiers. Non que cela leur soit utile directement sur le terrain, mais une telle approche leur permettra de comprendre le devenir de leur travail post-interpellation et la complexité d’un système souvent jugé à l’emporte-pièce.

Concrètement, ces différents modules de formation pourraient être mis en œuvre en école par différents intervenants (historiens de la police, sociologues, psychologues du travail…) :

– volet historique : histoire de la police, histoire de France, notamment les grands événements des xxe et xxie siècles ;

– volet sociologique : connaissance de la réalité des « quartiers » (présentation chiffrée, approche sociologique et historique…), multiculturalisme ;

– volet comportemental : gestion du stress, neutralité du service public, prévention du suicide… ;

– volet de compréhension de l’environnement professionnel : police de proximité, associations locales, police municipale…

L’ensemble de ces savoirs pourrait être accompagné par des interventions de personnes extérieures, directement en structure de formation, mais aussi par des stages d’une semaine suivis par les élèves dans le cadre institutionnel « justice », puisque ce cadre est amené à être un partenaire de l’action du policier :

– stage au sein des services pénaux des juridictions (service de la permanence pénale du parquet, tribunal correctionnel, cour d’assises, tribunal des enfants, service de l’instruction, service de l’exécution des peines, service de l’application des peines…) ;

– stage en établissements pénitentiaires (maison d’arrêt, centre de détention, maison centrale, établissement pour mineur, centre de semi-liberté) ;

– stage dans une structure de la protection judiciaire de la jeunesse (service territorial éducatif en milieu ouvert, foyer éducatif, centre éducatif fermé…) ;

– stage dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (milieu dit « ouvert » en lien avec le suivi des condamnés libres probationnaires, milieu dit « fermé » en lien avec le suivi des mesures de réinsertion et de préparation à la sortie de détention).

Ces stages seraient complétés d’autres stages, d’une semaine également, effectués au sein d’entités qui seront plus tard les partenaires des policiers : principalement des stages au sein d’associations (aide aux victimes de violences conjugales, insertion/réinsertion…), mais également auprès de la police municipale, des pompiers, etc.

Chaque stage ferait l’objet d’un compte rendu et serait présenté en retour d’expérience à l’ensemble des autres policiers de la même promotion afin que chacun bénéficie de l’apprentissage des autres.

 

En troisième lieu, il est un chantier des plus importants duquel dépendent également les autres : celui du bien-être au travail des policiers.

La lutte contre le malaise dans la police est essentielle. Pour ce qui est du travail de prise en charge de cette souffrance, il conviendrait ici de s’inspirer des dispositifs existant au Canada, précurseur en la matière. Cette approche impliquerait une collaboration avec les structures déjà existantes en France, notamment des associations telles que l’ANAS (Association nationale d’action sociale des personnels de la police nationale) ou Pep’s – SOS policiers en détresse.

Mais, au-delà de ce travail en aval de la souffrance policière, un travail en amont doit être mené, afin de s’interroger sur la manière dont on confronte le policier au citoyen, sur sa place dans la société. Les réflexions précédentes, sur la question de la proximité et la formation notamment, sont évidemment en lien direct avec cette problématique.

Même si ce sujet ne fait pas partie du cœur de l’action de l’ACPJ, il semble également indispensable de revoir l’encadrement des services. Des policiers inexpérimentés, pas ou peu encadrés, ne peuvent qu’être mis en situation d’échec sur la voie publique. Il s’agit ici d’éviter que des responsabilités puissent être données à des policiers n’ayant pas une certaine ancienneté. Il n’est pas normal qu’un policier ayant parfois à peine plus d’un an d’ancienneté, tout juste titulaire, puisse déjà avoir la charge d’être chef de bord ou chef de poste. Ces policiers, en sortie de formation, devraient être encadrés par des maîtres de stage ayant déjà une certaine ancienneté, qui suivraient régulièrement leurs stagiaires (entretiens réguliers, mise en place d’objectifs, analyse du travail effectué…).

 

Enfin, le dernier sujet sur lequel nous souhaitons intervenir est celui de la confiance. Elle passe par un organe de contrôle de la police légitimé par les citoyens.

Afin qu’une police puisse agir en confiance et soit respectée, elle se doit de disposer d’un organe de contrôle qui ne suscite pas de doute quant à son efficacité. Ce n’est pas une question de défiance mais de garantie démocratique. Il conviendrait donc de revoir le fonctionnement de l’IGPN, ainsi que sa gouvernance, afin d’y intégrer davantage de personnes extérieures, qu’elles viennent de la société civile ou de la justice.

La question de l’indépendance de l’IGPN se pose également, ainsi que de l’articulation de son action avec celle du Défenseur des droits (DDD). Cette dernière institution semble devoir se professionnaliser dans son recrutement et son mode de fonctionnement : on a en effet le sentiment qu’elle a « perdu » de son autorité, de son champ d’action, au cours du passage de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) au DDD. Peut-être pourrait-elle être partie intégrante de l’enquête administrative, lorsque les faits sont graves et/ou suscitent une émotion populaire importante, à l’image de l’IOPC anglaise.

Enfin, la communication de l’IGPN semble également à revoir. Il paraît nécessaire qu’elle se mette en capacité de pouvoir diffuser l’information sur les décisions qui ont été prises par les autorités, tant judiciaires qu’administratives (auxquelles il revient de communiquer ces informations à l’inspection), dans les affaires les plus marquantes. Le citoyen doit avoir des retours lorsque des policiers ont fait l’objet de sanctions. Cette communication ne doit pas prendre seulement la forme d’un rapport annuel comprenant des chiffres qui n’ont, en eux-mêmes, que peu de signification. Bien évidemment, il conviendra pour cela de revoir les moyens humains mis à disposition de l’IGPN sur l’ensemble du territoire.

 

Retrouvez ces propositions de l’ACPJ au format PDF ici.



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