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Le sens de la peine

Le sens de la peine

Par @CasseSpip, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP)

Au sens étymologique, le mot « peine » (poena) signifie « souffrance, châtiment ». La symbolique forte du terme choisi pour sanctionner des auteurs d’infractions questionne d’emblée sur le sens de celle-ci : à quoi sert une peine ? À se venger, à infliger un châtiment ? « Être en peine » implique d’être en difficulté, d’être triste ; alors, la justice doit-elle faire peser sur les condamnés ce poids étymologique ?

C’est Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux (2012-2016), qui a fait inscrire dans sa loi du 15 août 2014 l’objectif de la peine dans le Code pénal (promis, on fait un peu de droit, et ensuite on arrête !). L’article 130-1 du Code pénal dispose : « Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° de sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »

En pratique, comment fait-on ?

Lorsqu’une personne commet un délit ou un crime, elle est jugée. Ensuite, une fois la peine prononcée, c’est le juge de l’application des peines (JAP) qui est en charge du suivi de la mesure et du respect des obligations et interdictions, par l’intermédiaire du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), qui sera saisi des mesures de justice et mettra en place un suivi individualisé auprès de chaque condamné.e.

L’emprisonnement n’est pas et ne doit pas être la seule sanction prononcée. Le panel des peines possibles traduit la nécessité d’individualiser la réponse de la justice, proportionnellement aux faits commis, et en tenant compte de la personnalité et du parcours de vie du condamné. La peine de prison peut même se révéler parfois totalement contre-productive pour la société. Comme l’indique l’Observatoire international des prisons (OIP), le risque de récidive est très élevé après une condamnation à de la prison ferme : 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées dans les cinq ans. Ce taux descend à 32 % en cas de sorties aménagées ou de peines alternatives à l’incarcération prononcées. Le ministère de la Justice lui-même constate que « la récidive est toujours moindre après des sanctions non carcérales », et le Conseil de l’Europe abonde en ce sens en préconisant de privilégier les sanctions alternatives, quand cela est possible.

Plusieurs peines alternatives à l’incarcération existent : le travail d’intérêt général (TIG), le sursis probatoire… Environ 200 000 personnes sont suivies en milieu ouvert par les SPIP dans ce cadre-là. À ces suivis s’ajoutent ceux des personnes détenues. La France compte actuellement environ 70 000 personnes écrouées : détention « classique », semi-liberté, placement à l’extérieur avec surveillance, et la plus connue des mesures, la DDSE (détention à domicile sous surveillance électronique), appelée « bracelet électronique ».

On le voit régulièrement : à chaque fait divers où une récidive est mise en lumière par les médias, la classe politique se mobilise pour que les peines soient plus sévères et l’opinion publique, en état de choc, crie au scandale de la justice laxiste qui relâche des criminels dangereux dans la nature.

Évidemment, sur le terrain, c’est beaucoup plus complexe que cela. Magistrats de l’application des peines et CPIP (les conseillers qui travaillent dans les SPIP) œuvrent pour prévenir la récidive. Il faut présenter les chiffres pour mieux comprendre comment ces personnels travaillent à mettre du sens à la peine.

Il y a environ 3 500 CPIP pour suivre ces 270 000 personnes sur le territoire national, soit environ 78 personnes en charge par CPIP. Or certains services sont en grande souffrance RH et des agents suivent plus de 100 personnes. Il faut ici savoir que la France est le parent pauvre en termes budgétaires pour la justice par rapport à ses voisins européens : l’Europe préconise que les CPIP suivent 40 personnes en milieu fermé et 50 en milieu ouvert pour que le travail d’insertion puisse davantage prendre son sens. Le budget alloué à la réinsertion représente 2 % du budget de l’administration pénitentiaire.

Non seulement ce constat du faible nombre de conseiller.es est alarmant, mais il faut également avoir conscience des diverses contraintes pour exercer ces missions : faire adhérer des personnes souvent désocialisées à une mesure judiciaire contraignante, évaluer le risque de récidive à l’aune de la pression sociale et politique, prendre en charge au mieux la personne en essayant de considérer sa globalité. Cela s’effectue dans un cadre temporel et architectural lui-même contraint (détention ou milieu ouvert). Cette pression pèse aussi sur les condamnés.

Le sens de la peine devrait être une question sociétale, discutée en profondeur avec des professionnel.les de terrain, qui ont à la fois l’expérience et l’analyse de ce qui fonctionne ou pas. En effet, chacun, sans rien y connaître, y va bien souvent de son commentaire, de son idée – souvent préconçue –, pour asséner ses vérités sur ce que devrait être la peine. Il ressort de certains échanges avec des citoyens et des débats sur les réseaux sociaux que la peine ne devrait être qu’afflictive, globalement. Or il faut relever que bien souvent les personnes placées sous main de justice sont déjà assez exclues socialement. Si la peine ne devait être qu’un châtiment, comment ensuite espérer qu’une personne puisse se réinsérer, voire s’insérer, dans la société qui l’a mise à l’écart ? Cela ressort aussi des discours : « La justice privilégie les auteurs et ne pense pas aux victimes. »

La justice se rend au nom du peuple français afin de protéger la société. Depuis plusieurs années, la victime a de plus en plus sa place reconnue dans le procès pénal, et Christiane Taubira a également introduit la notion de justice restaurative dans la loi : il existe ainsi des dispositifs de rencontres « auteurs-victimes » pour permettre à chacun de dialoguer et de se réparer. Ces dispositifs sont mis en œuvre et coordonnés par des associations de victimes et le SPIP.

Le sens de la peine devrait être la question de tous. Chacun devrait s’intéresser vraiment aux conditions dans lesquelles les magistrats, greffiers, avocats, forces de l’ordre, CPIP, personnels pénitentiaires exercent leurs missions. Il m’apparaît ainsi fondamental que tous les citoyens assistent à des audiences pour mieux appréhender la manière dont la justice est rendue. Cela permettrait aussi de souligner que les monstres n’existent pas : il y a des personnes qui commettent des infractions – aujourd’hui elles, mais demain peut-être vous, votre frère, votre sœur, un ami, votre père. Ce sont parfois des actes monstrueux, mais pour autant leurs auteurs gardent leur part d’humanité et, à part les criminels les plus dangereux condamnés à perpétuité, ils seront amenés un jour à sortir de prison et à reprendre une place dans la société.

C’est à cette part d’humanité que les professionnel.les s’adressent durant la prise en charge afin de tenter de « réparer » et de travailler autour de ce qui a conduit au passage à l’acte. Les acteurs judiciaires tentent d’accompagner vers le changement : c’est ainsi que la peine peut prendre son sens. C’est un travail global, qui s’attachera à réfléchir autour de la verbalisation des émotions, à s’appuyer sur ses qualités et ressources pour atténuer les freins à la réinsertion socioprofessionnelle.

Il n’existe aucune baguette magique qui pourrait transformer la société pour lui permettre d’insérer chacun de ses citoyens depuis le plus jeune âge. De même, il n’y a pas de potion pour qu’une personne parvienne à donner du sens à sa peine, qu’elle soit dedans ou dehors. Cette tâche est difficile, un parcours d’exécution de peine est rarement linéaire, il s’accompagne d’embûches qui parfois provoquent la rechute, raison pour laquelle cette question est sociétale et pas interne au simple monde judiciaire. En effet, on retrouve dans ces parcours, bien souvent, des échecs plus profonds : difficulté d’intégration par l’Éducation nationale faute de moyens, structures d’aide sociale à l’enfance exsangues pour accompagner les familles, manque de moyens concernant la prévention des addictions ou dans les prises en charge psychiatriques…

Le propos n’est pas de rejeter la faute d’un passage à l’acte sur quelqu’un d’autre que son auteur. Mais il ne faut pas être naïf et rester figé dans un débat très manichéen qui voudrait que celleux qui commettent des infractions se complaisent à être des délinquant.es. Les chiffres attestent que les personnes placées sous main de justice présentent un certain cumul d’inégalités, que la peine devrait amener à résorber pour favoriser leur réinsertion sociale. Les personnes condamnées à une incarcération, déjà précarisées et pour certaines mises au ban de la société, doivent réintégrer celle-ci de la manière la moins désocialisée possible à l’issue de leur peine privative de liberté. Ce qui ne signifie pas forcément la fin de leur peine, puisqu’un accompagnement par le SPIP peut perdurer longtemps après la sortie de prison s’il y a encore des mesures de suivi à l’extérieur.

C’est la peine d’emprisonnement et la sortie anticipée qui sont décriées par l’opinion publique, notamment en cas de récidive. Les « prisons quatre étoiles » sont vilipendées, alors que la majorité des établissements pénitentiaires sont des maisons d’arrêt, où le taux de surpopulation effleure bien souvent les 110 %, ce qui signifie que les plus courtes peines se retrouvent à plusieurs en cellule, et ne parviennent pas à accéder au travail ou à la formation, faute de places disponibles. Par ailleurs, dans ces établissements, généralement il n’y a pas suffisamment de CPIP pour gérer le flux d’entrées et de sorties, et l’accompagnement ne peut être optimal. Une incarcération, même « courte », a des effets désocialisants (perte de logement ou d’emploi, séparation conjugale…) qui peuvent renforcer la précarité à la sortie et ainsi engendrer la récidive. D’après les études réalisées, ce sont les sorties dites « sèches » (sans projet finalisé, sans aménagement de peine) qui majorent le risque de récidive. Contrairement aux idées reçues, le taux de récidive est plus important sur des peines dites « mineures » pour les raisons énoncées : manque de préparation à la sortie, effets de la peine…

Concernant les longues peines, les taux de récidive les plus importants visent les infracteurs à la législation sur les stupéfiants et les atteintes aux biens. Les crimes plus médiatiques, en revanche, tels les meurtres ou les infractions à caractère sexuel, ne représentent pas des taux de récidive ou de réitération majorés. Par ailleurs, ces auteurs sont susceptibles d’obtenir plus aisément une mesure d’aménagement de peine, car ils présentent en détention un profil participatif à leur réinsertion : ils travaillent, bénéficient d’un accompagnement thérapeutique, adoptent un bon comportement… Mais le comportement en détention ne fait bien évidemment pas tout : ils doivent faire l’objet d’expertises psychiatriques en amont de leur sortie afin d’avoir un regard d’expert sur le risque de récidive. Ce sont souvent les sorties qui sont le plus préparées (projets de travail, de soins, de logement), en raison de la pression qui pèse sur eux à la sortie en termes de récidive mais aussi sur les professionnel.les qui les accompagnent. Parfois, ces sorties sont décriées, notamment quant à l’octroi des remises de peine. Or, du fait de leur comportement résilient en détention, ces personnes bénéficient souvent de l’octroi de la majorité des remises de peine supplémentaires (articles 721 et suivants du Code de procédure pénale, pour mieux comprendre le « jeu » des remises de peine). Lors d’une récidive médiatique, la justice est souvent présentée comme étant laxiste, incompétente… Pourtant, si la réinsertion sociale reste un pari sur l’être humain, les décisions que prennent les JAP sont pesées et le risque de récidive ou de réitération est évalué au plus près, après plusieurs avis de professionnels et d’experts.

La justice est humaine, elle est faillible, et le risque zéro n’existera jamais. En revanche, la peine, peu importe où elle s’exerce, doit avoir un sens, car les condamné.es réintégreront la société. La confrontation à la loi doit être ferme, mais son application doit être humaine. La justice ne doit pas montrer un visage de vengeance, qui serait purement stérile voire contre-productif ; elle doit sanctionner et faire en sorte que la peine puisse réparer et réussir là où la société n’a pas fonctionné auparavant. En cela, la peine et les réflexions pour qu’elle ait son sens sont l’affaire de tou.tes.



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