ACPJ | De quoi la déontologie policière est-elle le nom ?
16190
post-template-default,single,single-post,postid-16190,single-format-standard,ajax_fade,page_not_loaded,,qode-child-theme-ver-1.0.0,qode-theme-ver-17.0,qode-theme-bridge,disabled_footer_top,qode_header_in_grid,wpb-js-composer js-comp-ver-5.5.5,vc_responsive
 

De quoi la déontologie policière est-elle le nom ?

De quoi la déontologie policière est-elle le nom ?

Stéphane Lemercier, Précis d’éthique et de déontologie de la police, Les Éditions du Prévôt, 2019

Les derniers mois de l’année 2020 ont été agités par des polémiques à répétition autour de la déontologie des policiers, gardiens de la paix devenus « barbares » sans contrôle aux yeux de certains observateurs. Régulièrement, des faits divers très médiatisés mettent ainsi en cause la manière dont le respect des règles est enseigné et contrôlé au sein de la police nationale. Influencés par nos biais de perception respectifs, nous n’avons pourtant souvent qu’une idée assez vague de la manière dont les lois et règlements encadrent concrètement l’action de ceux dont la mission est précisément de les faire respecter.

Pour tous ceux qui souhaitent aller au-delà des lieux communs et s’interroger sur la portée réelle des notions de morale, d’éthique, de déontologie, de légitimité, de discernement ou d’exemplarité dans l’action quotidienne des forces de police, ce livre constitue une entrée en matière accessible et assez complète. Il a la particularité d’être rédigé par un praticien puisque Stéphane Lemercier est à la fois chargé de cours à l’université de Montpellier, où il a intégré l’équipe de droit pénal, et capitaine de police dans un service de sécurité publique. Cette double expérience rend son analyse d’autant plus intéressante pour éclairer le débat public, comme en témoigne dans sa préface Christian Mouhanna, sociologue et ancien directeur du Centre d’études sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).

Les injonctions paradoxales auxquelles sont soumis les policiers de la part du pouvoir politique, de leur hiérarchie et de la société sont mises en avant dès l’introduction. Une partie des comportements déviants constatés dans la police provient sans doute de cette tension permanente entre l’efficacité qui lui est demandée et le respect d’un corpus de règles contraignant qui encadre son action. Un éclairage historique intéressant permet d’ailleurs de prendre conscience que ce sont les représentants syndicaux des policiers eux-mêmes qui revendiquaient dans les années 1970 la mise en place d’un Code de déontologie pour énoncer leurs droits et devoirs.

L’auteur examine d’abord le sens des différents concepts utilisés et l’intérêt d’étudier et de faire dialoguer éthique et déontologie de la police. Il recourt à la philosophie puis à l’histoire pour replacer la problématique dans le temps long – depuis le Moyen Âge – de la constitution progressive de la police telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les textes fondamentaux sont passés en revue à l’aune de leur influence sur le travail policier : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Constitutions de 1946 et 1958, dispositions statutaires de la fonction publique, Règlement général d’emploi de la police nationale… Les sources sont multiples et incluent naturellement Code pénal et Code de procédure pénale. Les organes de contrôle interne et externe ne le sont pas moins puisqu’ils vont des pairs aux magistrats et aux acteurs indépendants que sont le Défenseur des droits, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou encore la CNIL et la CNCTR (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement), dans des domaines moins souvent étudiés.

Soucieux de ne pas se limiter à une succession de considérations théoriques, ce livre illustre les questionnements soulevés par de nombreux cas concrets, à travers des exemples tirés de la vie des services et des dossiers litigieux des années 1930 à l’affaire Benalla. Le maintien de l’ordre et la légitimité du recours à la coercition violente par les policiers ne sont d’ailleurs pas éludés. Cette attention portée aux « cas de conscience » qui peuvent se poser dans l’exercice de leur métier en fait un bréviaire utile pour les policiers eux-mêmes aussi bien qu’un instrument de compréhension pour les citoyens peu familiers de cet univers aux codes particuliers.

La conclusion comporte plusieurs pages éclairantes sur le « syndrome du policier templier », qui touche certains fonctionnaires se vivant comme le dernier rempart de l’État de droit assailli par les hordes délinquantes. Dès lors, leur mission d’essence quasi divine prime tout et la fin peut justifier les moyens. Cet état d’esprit accompagne la valorisation d’une posture guerrière et virile, dévoyant la maxime « Force doit rester à la loi » pour en faire un principe qui donne le dernier mot à la police quoi qu’il advienne. Si toutes les unités ne sont évidemment pas touchées par de telles dérives, ce syndrome peut contribuer à donner des grilles de lecture de situations problématiques dans certains services de voie publique.

On peut toutefois regretter que l’ouvrage s’intéresse finalement, dans son approche du cas français, à la seule police nationale. Nonobstant les différences entre les zones de compétence des deux forces de sécurité de l’État, une étude comparative avec la situation au sein de la gendarmerie nationale aurait pu être intéressante pour éclairer les débats. Ce d’autant plus que les gendarmes sont généralement crédités – à tort ou à raison – d’un plus grand respect de la déontologie et de la discipline que leurs collègues policiers. On se souvient d’ailleurs que les deux forces disposent depuis 2014 d’un Code de déontologie commun intégré au Code de la sécurité intérieure.

Cette réserve mise à part, le travail de l’auteur demeure complet et étayé. Il s’agit essentiellement de poser des constats et d’examiner la situation actuelle puisque l’objet du livre n’est pas d’établir un programme pour l’avenir. L’auteur émet cependant dans les dernières pages des suggestions intéressantes qui touchent sans surprise aux enjeux du recrutement et de la formation des policiers. Ces questions sont liées, à son sens, à la possibilité d’instaurer au sein de la police des pratiques réflexives avec une prise de recul régulière lors de laquelle chacun pourrait interroger sa manière de faire pour s’améliorer.

Pour commander Précis d’éthique et de déontologie de la police nationale (et d’autres titres !) : Éditions du Prévôt



Recevez la newsletter de l'ACPJ
Ne ratez aucune actualité de l'association
Je donne mon accord pour recevoir des informations de l'ACPJ. Seules les informations récoltées dans ce formulaire seront collectées pour vous informer. Vous pouvez accéder aux modalités d'utilisation et aux droits relatifs à vos données