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La relation police-population n’était pas confinée

La relation police-population n’était pas confinée

Alors que la France a traversé une crise sanitaire d’une ampleur inédite avec la pandémie de Covid-19, la police et la gendarmerie se sont trouvées – et se trouvent encore – une fois de plus au cœur de nombreux débats. Chargées par le gouvernement de contrôler le respect des mesures de confinement, les forces de l’ordre se situent en effet dans l’accomplissement de cette mission à la croisée de plusieurs enjeux. Bras armé de l’État dans son rôle essentiel de protection de la santé de la population, elles constituent aussi pour certains l’incarnation la plus visible d’empiétements qui seraient à l’œuvre sur les libertés publiques fondamentales.

Chacun projette ses attentes dans les évocations devenues rituelles du « monde d’après » en y espérant de nouveaux rapports sociaux. Qu’il soit permis à l’ACPJ d’essayer de jeter les bases d’une première analyse de cette période sur le plan du rapport entre la police et les citoyens. En effet, s’il est illusoire de croire que tout va changer à l’issue de la crise sanitaire, on peut se demander quels impacts aura cette séquence qui intervient après les manifestations des Gilets jaunes puis un long mouvement social contre la réforme des retraites.

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Jean-Pierre Havrin
Contrôleur général honoraire de la police nationale
Conseiller technique auprès du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement de 1997 à 1999, il a été directeur départemental de la sécurité publique de Haute-Garonne de 1999 à 2003 et a fait de Toulouse une ville pilote pour le déploiement de la « police de proximité ».

« Le mot “proximité” n’a décidément pas de chance. Banni et diabolisé par Nicolas Sarkozy, il est aujourd’hui le symbole de l’interdit. Jésus disait : “Aimez-vous les uns les autres.” Le coronavirus édicte : “Éloignez-vous les uns des autres.”
Et les flics sont toujours là ! Nouvelle mission : débusquer les réfractaires à l’attestation de sortie durant le confinement. C’est vrai qu’ils en rêvaient…
Dans le contexte de la police de proximité, cette mission aurait été en grande partie inutile : les “proximiers” connaissaient la population et cela aurait suffi à réguler les flux intelligemment. Car les mots “police” et “intelligence” ne sont pas forcément incompatibles ! À l’époque, dans les endroits où les courses-poursuites étaient fréquentes – et meurtrières –, l’identification des délinquants permettait de s’abstenir de les poursuivre pour aller les cueillir à domicile. Je pourrais multiplier les exemples soulignant l’intérêt de cette proximité…
Le credo de la police de proximité était fondé sur l’idée – inadmissible pour certains – que, dans une démocratie, la police est au service du citoyen et non au service du pouvoir. Il faut beaucoup de courage au politique pour abandonner la politique du chiffre. En effet, le problème de la prévention, c’est qu’elle ne se mesure pas. Elle est difficile à vendre : elle demande du temps pour être efficace et produire ses effets. Le temps du politique, lui, est “confiné” : il n’est pas intéressé. Cette période est alors peut-être l’occasion de reposer cette question du rôle de la police dans une démocratie.
Quant à moi, je suis toujours persuadé que la police ne peut et ne doit pas être l’ennemie de la population : c’est malsain, et c’est inefficace. Il faut rapprocher la police et la population : que la majorité des Français sachent que la police est à leur service, et que la confiance s’instaure, gage d’efficacité. Quand notre société reviendra à une possible proximité, après la crise sanitaire, qu’elle n’oublie pas “ses” flics !
Le contraire de la proximité, c’est l’éloignement. L’éloignement, c’est la méconnaissance de l’autre, qui conduit à la méfiance, au rejet – et ce mécanisme conduit inexorablement au racisme. Alors, stop au racisme, quel qu’il soit… même anti-flic ! »

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Cette fois, ce n’est pas dans la fonction répressive de maintien de l’ordre que les policiers ont été appelés à s’illustrer. Ils ont pourtant été amenés à faire usage de la coercition pour contribuer à la protection de la communauté, révélant de manière quasi paroxystique la tension qui peut animer au quotidien l’exercice des missions de police-secours. Pour beaucoup de policiers, cette période, bien que tragique, renvoie aux raisons profondes d’utilité sociale qui ont motivé leur choix professionnel et qui se sont parfois heurtées à la réalité de rapports difficiles avec une frange des citoyens. « Protéger et servir » demeure une aspiration dont la concrétisation prend parfois des chemins complexes.

On a pu assister dans cette crise à la cristallisation de questions déjà présentes au cœur de notre société. En ces temps de retour en grâce de l’idée de service public, certains saluent l’action policière au service de l’intérêt général – en témoignent les multiples remerciements adressés aux fonctionnaires et les dons spontanés de masques ou de nourriture qui se sont multipliés en de nombreux endroits du territoire. Les autres flétrissent tantôt l’impuissance de la police à faire respecter le confinement de façon égalitaire en tous lieux du territoire, pointant au contraire les multiples abus qui s’exerceraient impunément à cette occasion dans les quartiers sensibles.

On a d’ailleurs pu voir s’esquisser une communication à plusieurs niveaux de la part des forces de police. Si toutes les institutions ont relayé les messages de prévention et les consignes officielles, la même oscillation était perceptible, entre la mise en avant des gestes de soutien de la population montrant la qualité de la relation établie et la posture martiale parfois surjouée, comme à la préfecture de police de Paris. De nombreuses voix, parfois même celles de syndicalistes policiers, ont plaidé dans le débat public au début de la crise pour un recours aux forces armées en vue d’effectuer le contrôle du confinement. Quelques semaines plus tard, force est de constater que c’est bien là le rôle des forces de sécurité intérieure et non des militaires, qui n’ont d’ailleurs à aucun moment revendiqué cette charge.

Certes, face aux questions sur les modalités de contrôle et à l’appréciation de la bonne foi des personnes qui y sont soumises, le ministère de l’Intérieur a fréquemment invoqué un discernement des agents aux contours flous – qui est aussi une manière pour l’autorité de dégager sa responsabilité. Là encore, il s’agit d’une constante dans les missions de police et les prérogatives exorbitantes du droit commun qui sont confiées aux femmes et aux hommes qui les exercent. On peut espérer qu’un véritable retour sur expérience associant agents de terrain, hiérarchie, élus locaux et associations contribuera à interroger ce concept de discernement, dans la perspective d’une redéfinition du rapport police-population. Le quinquennat a en effet commencé par le déploiement de la police de sécurité du quotidien, laquelle PSQ se voulait à la fois incarnée par des unités spécifiques et la doctrine globale irriguant chaque service. L’actualité est depuis venue rappeler que la gestion des crises successives obère trop souvent la réflexion de fond sur le service que la population est en droit d’attendre de sa police.

Les prochains mois nous diront si les travaux d’élaboration du futur livre blanc de la sécurité intérieure, qui ont associé pour la première fois des groupes de citoyens, font de la restauration de la confiance mutuelle un objectif prioritaire qui se traduit dans le fonctionnement et l’évaluation des services de police.



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