ACPJ | Être conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) pendant la crise sanitaire
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Être conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) pendant la crise sanitaire

Être conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) pendant la crise sanitaire

Les CPIP (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation) sont des travailleurs de l’ombre. Ils sont l’un des maillons de la chaîne judiciaire et ont continué leur action malgré la crise sanitaire.

Un CPIP intervient en milieu ouvert (suivi des peines autres que l’incarcération, pour schématiser) et en milieu fermé (détention). À partir du 17 mars 2020, les services dits « en milieu ouvert » ont été fermés au public sauf urgences. Les placements sous bracelet électronique ne pouvaient plus être réalisés afin d’éviter le risque de contamination par contact entre les équipes et le probationnaire comme les personnes habitant avec lui dans la résidence où doit être positionné l’appareil servant au fonctionnement du bracelet. Les quartiers de semi-liberté, ces lieux au sein de l’établissement pénitentiaire où les personnes détenues sont hébergées en dehors de leurs horaires de travail, ont également été vidés, pour les mêmes raisons. Les personnes en semi-liberté, selon les établissements, ont temporairement réintégré la détention le temps de la période de confinement, ou bien sont restées en semi-liberté pour celles qui n’avaient pas de solution d’hébergement mais qui conservaient un emploi à l’extérieur. En détention, les parloirs (visites des familles) ont été stoppés à partir du 21 mars, de même que les permissions de sortir. La prison s’est refermée sur elle-même. Les parloirs familles ont été de nouveau accessibles à compter du 11 mai. Toutefois, des dispositions particulières sont prises depuis : seul un visiteur peut entrer (contre trois ou quatre avant la crise, selon les établissements), ce qui implique par exemple, pour un parent détenu, qu’il ne peut pas voir ses enfants dans l’immédiat. Ces visites reprendront selon les modalités définies en fonction notamment de l’architecture des prisons. Elles n’auront pas forcément lieu dans les parloirs « classiques », qui ne permettent pas la mise en œuvre des mesures de distanciation physique (exiguïté des « box »…).

Mais comme la prison peut être aussi le lieu de propagation de la pandémie, le gouvernement a mis en place en urgence des mesures exceptionnelles pour faire diminuer la population carcérale. Pour rappel, avant la pandémie, il y avait environ 71 000 personnes détenues ; les derniers chiffres indiquent que la population pénale écrouée aurait diminuée d’environ 10 000 personnes. Ainsi, le taux d’occupation global est devenu inférieur à 100 %. Cela ne signifie pas pour autant que les maisons d’arrêt, touchées par la surpopulation carcérale, ne sont plus aussi engorgées. En effet, en France, ce sont les maisons d’arrêt qui sont surpeuplées, plus que les centres de détention ou les « centrales », ces établissements pénitentiaires pour longues peines et très longues peines. Les maisons d’arrêt accueillent des peines inférieures à deux ans et des personnes prévenues ou condamnées en attente d’être affectées en établissements pour peine (centre de détention ou maison centrale), dans lesquels il y a un numerus clausus et où l’encellulement individuel s’applique. Aussi, malgré la déflation carcérale engendrée par la mise en œuvre de la circulaire du 25 mars 2020, qui introduit divers dispositifs pour tenter de « vider » les prisons, certaines maisons d’arrêt conservent un taux d’occupation supérieur à 110 %. Ces mesures ont eu vocation à diminuer le risque de contamination intra-muros, mais cela n’empêche pas certains établissements de devoir gérer sur le plan sanitaire des personnes enfermées à deux voire trois dans une cellule de neuf mètres carrés.

Parallèlement, et pour ceux qui sont restés en détention, des mesures ont été prises afin d’éviter un climat trop anxiogène parmi les détenus confinés, et par là des risques de mutinerie. Des crédits pour le téléphone ont ainsi été alloués aux personnes détenues pour qu’elles puissent rester en lien avec leurs proches (les communications téléphoniques coûtent très cher en détention : voir encadré).

Les effets d’annonce pour désengorger un système carcéral au bord de l’asphyxie ne sont pourtant pas suffisants. L’organisation s’est faite à tâtons, avec du « bricolage » quotidien, tout cela en étant organisé en service minimum afin que les personnels ne se contaminent pas entre eux.

Dès le début de la crise, il nous a été demandé à nous, CPIP, de limiter le nombre d’entretiens aux seules urgences, et d’y aller sans masque pour ne pas « effrayer » nos suivis. Il s’en est suivie une bataille interne pour disposer de masques, sinon les CPIP refuseraient de réaliser des entretiens au péril de leur sécurité sanitaire et de celle de leurs collègues et des personnes incarcérées. Il a fallu préparer les sorties en étant en lien permanent avec les familles, les personnes suivies (par courrier), les magistrats, le greffe, les personnels de surveillance… sans la possibilité de préparer un projet avec un bracelet ou une mesure de semi-liberté. La libération conditionnelle, mesure très peu usitée, est devenue phare, avec le placement à l’extérieur individualisé. Elle permet d’assortir la liberté d’un certain nombre de mesures de contrainte (répondre aux convocations du service de probation et d’insertion ou du juge de l’application des peines, soins, indemnisation des parties civiles ou amendes…) comme de contrôle qui, en cas de non-respect, peuvent entraîner la fin de la liberté conditionnelle et le retour en détention pour effectuer le reliquat de la peine. Il convient de relever que sont exclus de ces dispositifs de sortie anticipée les personnes condamnées pour des faits de terrorisme et d’atteintes sur mineurs ainsi que les auteurs de violences conjugales. Les personnes ayant commis des incidents disciplinaires après le 17 mars 2020 se voient également exclues de ces possibilités.

Le travail du CPIP, en temps de crise sanitaire, en est modifié profondément. Tout d’abord, le cœur du métier est l’entretien avec la personne détenue ; il est désormais réduit à une part infime du quotidien et les échanges se font essentiellement par courrier pour le milieu fermé et par téléphone en milieu ouvert. Cela génère des frustrations et de potentielles incompréhensions, mais ce lien demeure fondamental.

Il faut prendre des décisions le plus vite possible, solliciter les familles pour obtenir des documents précis afin de faire valider une sortie anticipée décidée par le juge de l’application des peines (JAP) ou le procureur de la République (assignations à domicile fin de peine). De nombreux écrits sont rédigés pour éclairer au mieux le juge sur la situation actuelle de la personne et ses conditions de sortie : logement, emploi et/ou conditions de ressources, accompagnement familial ou par une structure ou des intervenants dédiés. Il faut évaluer le risque de récidive, malgré la situation d’urgence. Il y a ainsi de nombreuses sorties, mais il y a aussi quelques personnes qui sont écrouées : non-respect du confinement et, essentiellement, violences conjugales. Les échanges avec les partenaires sur le versant de l’emploi et de l’hébergement, notamment, sont maintenus pour permettre un meilleur étayage en vue de la sortie.

Avant la crise, le CPIP travaillait autour de la construction d’un projet, discutait des différentes étapes du parcours d’exécution de peine, échangeait avec le JAP pour présenter les requêtes des personnes. Le projet n’a désormais plus autant d’importance, à partir du moment où un hébergement suffisamment sécurisant est proposé pour permettre la sécurité sanitaire du « sortant ». Tout est dématérialisé ; si la culture de l’écrit est importante dans notre profession, l’oralité a une place indéniable et celle-ci manque cruellement durant cette période.

Malgré tout, le travail se poursuit, non sans stress et crainte de ce que sera l’avenir. Cette crise nous permet de conclure que nous pouvons tous continuer à accomplir un travail considérable pour endiguer les risques de propagation du virus dans les enceintes pénitentiaires, de même que les tensions. Cela repose sur la bonne volonté des personnels de la justice et démontre que des solutions pour la réduction de la population carcérale existent à moindre coût. Toutefois, ces mesures ne concernent pas les longues peines et il faudra, après, redoubler d’efforts et trouver des solutions pour remettre un peu d’espoir dans leurs perspectives. Cette crise nous permet aussi d’être davantage en communion les uns avec les autres, de prendre conscience de la situation des personnes incarcérées et de faire preuve de bienveillance entre nous.

@CasseSpip, conseillère d’insertion et de probation

 

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Idées reçues : le téléphone en prison, comment ça marche ?

Pour commencer, et contrairement aux idées reçues : tout s’achète en détention ! Les trois repas quotidiens sont distribués par l’administration, mais le reste s’achète à des prix équivalents ou supérieurs à l’extérieur (tabac, produits d’hygiène…). Même la télévision et le frigo se louent, une vingtaine d’euros par mois. Le téléphone ne fait pas exception à la règle.

Le téléphone portable est interdit en prison. Des cabines téléphoniques – oui, cela existe encore ! – sont mises à disposition des personnes détenues dans les parties communes des locaux d’hébergement et les cours de promenade pour permettre de maintenir un lien avec leurs proches. L’accès au téléphone est régi par le règlement intérieur de l’établissement et peut donc varier selon les prisons. Les personnes prévenues, c’est-à-dire pas encore condamnées, doivent demander l’accord du juge d’instruction pour appeler leurs proches. Pour les condamnés, ils doivent faire enregistrer des numéros auprès du service des écoutes téléphoniques, en étant parfois obligés de fournir une facture en guise de justificatif. Une fois les numéros inscrits, les personnes détenues doivent alimenter pécuniairement leur compte de téléphone. En arrivant en détention, une personne se voit ainsi ouvrir un « compte bancaire interne » (compte nominatif), que l’on appelle le pécule. Ce pécule est composé de trois parts, nommées « disponible », « libération » et « parties civiles ». Selon les ressources gagnées en travaillant en détention ou envoyées par la famille, la personne verra les sommes d’argent réparties sur ces trois parts. Seule la part disponible peut être utilisée dans les murs. C’est dans cette partie du pécule que la personne devra réserver une somme qui sera allouée au téléphone.

Les communications téléphoniques demeurent très onéreuses en détention (coût estimé : 70 euros mensuels pour vingt minutes de communications quotidiennes en France métropolitaine et sur un fixe ; cela peut être plus du double pour les appels sur téléphones portables et à l’étranger ; chiffres issus de l’OIP). Il convient enfin de noter que, pour l’heure, peu d’établissements disposent de cabines téléphoniques en cellule. Cela devrait se généraliser dans les années à venir et permettrait aux personnes d’avoir plus d’intimité et surtout de pouvoir appeler à n’importe quelle heure, puisque actuellement l’accès aux cabines se fait en général de 8 h 30 à 11 h 30 puis de 13 h 30 à 17 h 30. Les personnes sans ressources ne peuvent appeler leurs proches en raison de ces coûts, c’est la raison pour laquelle l’allocation de 40 euros par mois de crédit téléphonique pendant la crise sanitaire était nécessaire.

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