ACPJ | Marianne : ils brisent la loi du silence : la vidéo de l’Île-Saint-Denis suscite des remous dans la police
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Marianne : ils brisent la loi du silence : la vidéo de l’Île-Saint-Denis suscite des remous dans la police

Marianne : ils brisent la loi du silence : la vidéo de l’Île-Saint-Denis suscite des remous dans la police

Vous pouvez retrouver cet article sur le site de Marianne.

Les images montrant des policiers tenir des propos racistes lors d’une interpellation ont suscité l’indignation de nombreux policiers, qui, chose rare, l’ont exprimée publiquement.

Le plus souvent, lorsque l’un d’entre eux dérape, les policiers choisissent entre deux options. Soit détourner le regard et ne rien dire pour ne pas enfoncer le collègue, soit monter au créneau pour le défendre coûte que coûte. Chaque fois qu’un témoignage, une image ou une vidéo mettant en cause des policiers apparaît sur la toile, le scénario se répète inlassablement. Les réseaux sociaux, notamment Twitter, que les policiers de “base” ont investi massivement depuis quelques années, se transforment alors en champ de bataille façon Verdun. Les anti et les pro-police, campés dans leurs tranchées, se renvoient images chocs et attaques outrancières. La vidéo d’une interpellation sur l’Ile Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), samedi 25 avril, aurait pu susciter le même phénomène. Filmée par un habitant depuis sa fenêtre, on y entend un policier, alors que son groupe escorte une personne tout juste interpellée, lancer à la cantonade : “Un bicot comme ça, ça nage pas !“. Et de recevoir pour réponse d’un autre agent, “Ah ah ! Ça coule, tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied !”. Des remarques ouvertement racistes qui semblent fortement amuser les autres membres du groupe. Puis, l’homme est amené dans l’un des véhicules policiers. S’ensuit alors des cris qui durent de longues secondes sans pouvoir déterminer ce qu’il se passe.

Même chose pour “Gardien de la paix J”, un pseudonyme sur Twitter, plus habitué aux coups de gueule contre sa propre institution que son collègue : “Quand j’ai vu cette vidéo, j’ai été révolté au point de ne pas en dormir de la nuit. Il faut avoir une position claire et nette face à ce genre de propos. Ces types n’ont rien à faire dans nos rangs ! En tant que flic, on est là pour servir, on a un droit de réserve. Et puis, quelle image on donne de nous si on tolère ces propos ? Ça nous met tous en danger car, avec le ressentiment que ça crée, c’est le genre de vidéo qui peut déboucher sur des émeutes. C’est comme pour l’affaire Théo. On a eu trois policiers qui se sont mal comportés, c’est des centaines de policiers dans toute la France qui ont pris pendant plusieurs jours ensuite”.

Ces propos ont également poussé le très prudent Abdoulaye Kant, plus connu sur les réseaux sociaux pour son travail de déminage et de pédagogie lorsque ses collègues sont mis en cause, à dénoncer avec vigueur ces images. Plutôt que de parler de prudence, lui préfère le terme d’équilibre : “J’essaye dans toutes mes prises de position d’être équilibré. Mais là, je n’allais pas défendre l’indéfendable ! C’est juste inacceptable ! La police est à l’image de la société, elle est diverse donc ce genre d’idée n’a pas à s’exprimer dans nos rangs”.

“ON EST CLAIREMENT PAS ENCOURAGÉ À DÉNONCER DES FAITS RÉPRÉHENSIBLES DANS NOS RANGS”

Ces réactions publiques de bon sens n’ont rien d’évident lorsqu’on appartient à la maison Police. En cause, un esprit de corps redoutable qui pèse fortement sur les prises de parole. “Comme tous les métiers, il y a du corporatisme. Mais c’est beaucoup plus fort chez nous, tout simplement parce que notre boulot est dangereux. Les collègues que tu pourrais dénoncer te sauveront peut-être la peau sur le terrain”, analyse Christophe Korell. Ses sorties sur l’interpellation de l’Ile-Saint-Denis lui ont d’ailleurs valu quelques reproches. Des policiers et des internautes pro-police lui ont reproché d’affaiblir les flics, tandis que des anti-police… l’ont mis dans le même sac que ses collègues mis en cause.

Bref, le genre de prise de position, en tant que fonctionnaire de police, où il n’y a que des coups à prendre. Christophe Korell détaille le fond de sa pensée : “Étant détaché au ministère de la Justice, c’est peut-être plus facile pour moi. L’idée que la police serait un camp, je trouve ça débile. La police c’est une institution qui travaille au nom d’un Etat. C’est comme mettre sur le même plan des vidéos de policiers en faute et des délinquants qui agressent des policiers, ça n’a pas de sens et c’est contre productif. Nous, en tant que fonctionnaire, nous sommes soumis à des règles, c’est tout.” Pour “Gardien de la paix J”, 12 ans de service au compteur, actuellement en poste dans un service de police judiciaire en Île-de -France, le poids du corporatisme va même plus loin. “On est clairement pas encouragé à dénoncer des faits répréhensibles dans nos rangs. Et ça peut aller très loin si on s’y risque avec des menaces et des pressions. Ça m’emmerde de le dire, mais c’est un peu le même mécanisme que dans une cité quand quelqu’un veut balancer le dealer. C’est très risqué”, estime-t-il.

“LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR DOIT RAPPELER LES RÈGLES”

D’autant que selon lui, rien n’est fait au sein de la maison poulaga pour faire bouger les lignes. “Nous avons des syndicats et une hiérarchie qui passent leur temps à refuser de regarder les problèmes en face. Que ce soit sur la question des abus de violence ou du racisme dans nos rangs, qui sont souvent liés d’ailleurs, ça fait 20 ans que personne ne s’en occupe ! Alors pris individuellement, il y a beaucoup de policiers qui sont capables de voir ces problèmes mais collectivement, non. D’ailleurs, dès l’école de police on nous incite à ne pas broncher. Le premier truc qu’on apprend ? Marcher au pas ! Est-ce que vous croyez que ça va permettre au fonctionnaire de bien faire son boulot sur le terrain que de jouer au militaire en ranger ? Non. Au lieu de ça, on ferait mieux de faire de la sociologie pour comprendre les mécanismes de la délinquance”, s’agace notre flic.

Christophe Korell, pointe lui, en plus des problèmes de formation continue ainsi que du suivi des carrières :“à force d’être sur le terrain et de voir des horreurs tous les jours, on finit par penser que ce à quoi on est confronté est une réalité universelle, et ça finit par vous changer”. Il voit aussi des ces comportements une conséquence des défaillances du pouvoir politique : “Il y a une confusion en France sur le rôle du politique sur la police. C’est d’ailleurs la traduction de l’expression “premier flic de France” pour parler du ministre de l’Intérieur. C’est une erreur. Le premier flic de France c’est le Directeur général de la Police nationale, pas le ministre. Lui est là pour tracer les lignes de la politique du gouvernement et rappeler les règles quand il y a lieu de le faire. Et quand ces règles sont violées, le ministre de l’Intérieur doit être implacable. Paradoxalement, le dernier ministre de l’Intérieur qui avait été très clair là-dessus, c’était Nicolas Sarkozy.”

De son côté, contrairement à ses deux collègues, Abdoulaye Kant se veut plus optimiste. Le racisme dans la police, il n’en ferait pas une généralité, loin de là. “Pas plus que dans d’autres pan de la société. Le sondage qu’on nous ressort à chaque fois ne reflète pas la réalité que je constate”. Surtout, lui estime “qu’une nouvelle génération est en train d’entrer dans la police, et elle est de plus en plus au fait de ces questions là. Le racisme dans nos rangs, c’est une frange minoritaire”. Un avis que ne partage pas forcément Christophe Korell. Mais peu importe car selon lui l’objectif est simple : “On n’arrivera pas forcément à empêcher qu’il y ait des racistes dans la police, par contre, on peut faire en sorte qu’ils ferment leur gueule et qu’ils fassent leur boulot comme il faut !



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